Dang Phuong-Nghi
Le 5/3/2018, pour la première fois depuis la guerre du Vietnam (1975), des navires de guerre américains sont entrés dans un port vietnamien, à savoir celui de Sa Tiên à Đà Nẵng. Il s’agit du porte-avions nucléaire USS Carl Vinson avec son escadre de 72 avions, escorté d’un croiseur, l’USS Lake Champlain et d’un destroyer, l’USS Wagner E. Meyer, avec à son bord 5500 marines.
Le porte-avion Carl Vinson, qui opérait auparavant dans le Golfe persique puis dans l’Océan indien, a été mis à la disposition du commandement de la 7è flotte depuis avril 2017, suite aux menaces de la Corée du Nord.
Cette visite historique de 5 jours, décidée lors de la rencontre au Vietnam entre le Ministre de la défense US James Mattis et celui du Vietnam Ngô Xuân Lịch le 25/1/2018, qui va « contribuer à maintenir la paix, la stabilité, la sécurité, la coopération et le développement dans la région », selon la porte-parole du Ministère des affaires étrangères Lê Thị Thu Hằng, est saluée par les média aussi bien vietnamiens qu’étrangers comme le signe d’un rapprochement Etats-Unis – Vietnam et un message envoyé à la Chine conquérante en Mer de l’Asie de l’Est.
N’en déplaise aux commentateurs, la réalité est moins encourageante. Pour ce qui est du message, il faut savoir que la présence du porte-avion Carl Vinson dans le Pacifique Ouest a été discutée avec Pékin et approuvée par elle. Sa visite amicale au Vietnam, quoique chasse gardée de la Chine, l’irrite moins que les manœuvres militaires menées par lui avec l’Australie et le Japon en 2017. Quant au rapprochement US-VN, il faut remarquer que pour marquer l’événement et accueillir le porte-avion aucun personnage de l’Etat, aucun haut gradé militaire de l’Etat-major ou de la marine n’est venu : La délégation vietnamienne se compose uniquement de quelques sous-grades représentants de la 5e région militaire et de la 3e région maritime (dont dépend Đà Nẵng), de l’Unité des garde-frontières de la province et du Service des affaires étrangères du Ministère de la défense, chapeautés par le Directeur des affaires étrangères de la ville, alors qu’en face s’est présenté le contre-amiral commandant en chef de la 7e flotte US Philip G. Sawyer. Mais pour le plus grand plaisir des Américains, pour compenser l’impolitesse des officiels, la population vietnamienne s’est déplacée en grand nombre pour leur faire fête.
Par contraste, l’arrivée officielle à Saigon le 22/10/2016 de trois bâtiments de guerre chinois commandés par le chef d’état-major de la flotte de la Mer orientale Vương Hồng Lý (Wang Hongli) — après deux visites en catimini, c’est-à-dire cachées au peuple car non relatées dans les media officiels, d’autres navires militaires en 4/2012 (1 navire) et 1/2013 (3 navires) – a donné lieu à un accueil solennel suivi d’agapes de la part du plus important personnage du Sud-Vietnam, le Secrétaire général du parti à Saigon Lê Thanh Hải, ainsi que les plus hauts gradés militaires de la région. Mais, à la différence des autorités, le peuple saïgonnais s’est montré tout juste curieux et résolument hostile envers les « envahisseurs » invités.
Pour les initiés, toutes les démonstrations de bonne entente avec les pays du monde libre du pouvoir communiste de Hanoï ne sont au mieux que l’application d’une politique oscillatoire (đu dây) qui consiste à changer de partenaire selon l’intérêt du moment, dans le cas du Vietnam à passer de la « grande amitié » avec la Chine au flirt avec ses rivaux, et correspondent à des velléités d’indépendance par rapport au maître chinois chez une faction dirigeante temporairement prédominante. Au pire, ce sont des simagrées pour cacher au monde et surtout au peuple vietnamien la soumission déjà complète du Parti à Pékin.
Avec l’arrivée du porte-avion Carl Vinson, le pouvoir a ainsi réussi à insuffler de faux espoirs de changement de politique à un peuple excédé par les difficultés de la vie quotidienne (dégradation de tous les « services » publics, augmentation des taxes et impôts, insécurité alimentaire…) et la corruption généralisée, et donc à endormir pour un bon moment son envie de révolte.
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