Par DANG PHUONG NGHI

Le matin du 10/6/2016, en réponse à l’appel à une manifestation générale contre les deux lois sur les zones économiques spéciales (ZES, considérées comme des concessions chinoises déguisées) et sur la sécurité sur internet (en fait sur le déni de la liberté d’opinion et d’information), des centaines de milliers de Vietnamiens (400.000 selon l’estimation du facebooker Hoàng Ngọc Diêu), certains avec famille et enfants sont descendus dans les rues de diverses villes du pays : avec moins d’affluence au nord où la population mise au pas depuis plus longtemps et plus surveillée (à Hanoï, quelques centaines de personnes n’ont pu s’assembler que deux heures avant d’être dispersées manu militari par la police) est restée craintive sauf dans les paroisses chrétiennes du centre-nord, en masse dans le sud, de Đà Nẵng à Phú Quốc en passant par les villes du delta du Mékong, en particulier à Saïgon. Leur nombre, impressionnant dans un régime communiste où le peuple est bombardé de propagande prônant l’obéissance absolue envers le parti, a frappé de stupeur les autorités qui ont mis du temps à réagir.

A Saïgon, les policiers, pris par surprise, n’ont pas pu empêcher la foule des manifestants de forcer les barrages pour déambuler pendant des heures (de 8h à 17h) sur les grands axes en hurlant des slogans contre lesdites lois certes, mais surtout contre la Chine et aussi contre le communisme et le parlement vendu aux Chinois, se bornant à frapper et dépouiller les manifestants à l’écart ou en queue de la foule compacte. Mais vers la fin, profitant du relâchement des rangs et de la fatigue des marcheurs, les policiers et leurs nervis en civil et masqués se sont jetés au hasard sur les manifestants quel que soit leur sexe ou leur âge pour les battre sauvagement et les traîner dans le panier à salade (ce qui a causé un incident diplomatique avec les Etats-Unis, l’un des plus de 200 battus et emmenés au poste étant un citoyen américain d’origine vietnamienne). S’il n’y a pas de confirmation sur quelques cas de tabassage à mort, le facebooker Đinh Quang Tuyến cite le cas d’un ami, Trịnh Toàn, battu au point d’être saisi de commotion cérébrale et hospitalisé et la journaliste Phạm Đoan Trang décrit le calvaire d’un jeune homme de sa connaissance battu et torturé par 20 policiers 6h de suite jusqu’à perte complète de connaissance.

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Les manifestants ont partout défilé pacifiquement malgré les provocations des « propagandistes » et même quand certains ont été enlevés par la police. Cependant, dans la province de Bình Thuận des phénomènes de violence de la part des habitants des villes Phan Thiết (préfecture), Phan Rang et Phan Rí ont éclaté en réponse à celle des policiers, surtout quand la police a refusé de relâcher les personnes enlevées. A Phan Thiết, la foule furieuse a forcé les barrages policiers pour s’introduire dans le siège du Comité populaire (alias hôtel de la préfecture) et l’occuper. Délogés le lendemain matin (11/6) par un renfort de policiers qui ont arrêté dans la foulée plus de cent personnes,  ils sont revenus dans l’après-midi s’attaquer au siège de la police provinciale à coups de jets de pierres et de cocktails molotov, mettant le feu à une dizaine de voitures officielles et à genoux une centaine de policiers en déroute ; mais au lieu de les garder prisonniers pour s’en servir comme otages, les manifestants se sont contentés de les obliger à enlever leurs uniformes et à déposer des armes avant de leur permettre de s’enfuir par-dessus le mur de l’immeuble. En même temps, des jeunes de Phan Rí ont fait subir le même sort aux policiers de la caserne des pompiers de la ville. Le calme n’est revenu que le 12/6 avec l’intervention de l’armée et des tanks et l’arrestation d’une centaine de supposés casseurs. Pour intimider les autres, la police vient dans chaque maison interroger ses habitants. Les autorités ayant promis de sévir fermement, la population se déclare déterminée à se révolter si la vengeance étatique se fait sanglante. Or, si la mort non confirmée de deux personnes a eu lieu lors de la manifestation, vient d’être dénoncé (le 19/6) le décès d’un jeune homme de 18 ans pour côtes cassées et blessures internes à la suite d’un tabassage en règle dans le poste de police.

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Si les habitants de Bình Thuận ont été moins patients qu’ailleurs, c’est parce que de toutes les provinces ils ont le plus souffert récemment de la politique pro-chinoise du gouvernement : Depuis près de deux ans, l’air qu’ils respirent et la mer dont ils vivent (pêche, saline et fabrique de nước mắm) sont pollués par quatre grosses centrales thermiques à charbon (Vĩnh Tân dont au moins deux chinoises) qui rejettent directement leurs déchets dans la nature avec la bénédiction du gouvernement. L’eau dont ils ont besoin pour leur activité quotidienne et leur culture est accaparée par 5 entreprises chinoises de titane qui puisent jusque dans la nappe phréatique, causant outre la pénurie d’eau et la destruction des forêts, la pollution terrestre. Les pêcheurs, obligés d’aller au large pour trouver des poissons, se heurtent en mer aux bateaux chinois qui les canardent et coulent leurs embarcations sans que les autorités pipent mot. Leur manifestation contre cet état de fait l’année dernière ayant été fortement réprimée dans l’indifférence générale, ils voient leur vie se détériorer et leur avenir bouché inexorablement. Sans tenir compte de leur désespoir, le pouvoir profite de leur violence pour les présenter comme des terroristes et discréditer du coup tous les manifestants comme des naïfs dont le patriotisme est exploité à mauvais escient par des forces hostiles, justifiant de la sorte la future répression contre toute manifestation qualifiée dans les media officiels d’attroupement illégal.

Il est à remarquer que le droit de manifester ses opinions est reconnu aux citoyens dans la constitution vietnamienne de 2013 en vigueur, rédigée pour être conforme aux réquisits libéraux des organisations internationales auxquelles Hanoï a adhéré. Mais malgré ses promesses, le pouvoir n’a jamais voulu promulguer une loi ou un texte d’application sur ce droit de manifester, parce que la dictature communisme nie par nature ce droit et un texte qui transcrit ce refus et réduit à presque néant le droit de manifester fermerait au pays la porte des dites organisations. Voilà que le 19/6, dans une réunion avec des électeurs, le président Trần Đại Quang déclare la nécessité d’une loi sur les manifestations et promet d’en faire une requête au parlement. Mais les journaux (dont le populaire Tuổi trẻ) ont à peine sorti cette nouvelle que trois heures après, ils ont dû, sur ordre du Bureau de propagande, réimprimer leur numéro pour effacer le contenu de l’information et le remplacer par un autre dénonçant les manifestations à Saïgon et Bình Thuận comme des actes motivés par les incitations d’éléments hostiles. En pays communiste, même le président peut être censuré quand il parle en faveur de la liberté !

Grâce à l’effet catalyseur des 2 lois liberticides , les Vietnamiens prennent conscience que s’ils ne se lèvent pas maintenant pour contrer le régime et changer la donne, le pays tombera fatalement sous peu dans les mains des Chinois dont ils deviendront des esclaves à l’égal des Tibétains et Ouighours (déjà avec un gouvernement soi-disant indépendant, ils sont citoyens de deuxième zone par rapport aux immigrés chinois qui jouissent de facto de l’immunité administrative, judiciaire et fiscale, les autorités osant rarement les inquiéter pour leur comportement et action). Pour faire plier le pouvoir communiste ils n’ont que leur courage et leur nombre, à condition de les montrer chaque jour plus grands et dans la plus grande ténacité. Par suite ils ne peuvent laisser refroidir le feu du patriotisme réveillé en eux. C’est ainsi que des appels à des manifestations continuelles sont transmis de bouche à oreille et à travers les réseaux sociaux (que le gouvernement veut justement contrôler sinon fermer avec sa loi de sécurité sur internet). Aussi voit-on les habitants d’autres villes et d’autres localités manifester à leur tour les jours suivant le 10/6 (tels le 11/6 avec les 30.000 ouvriers de l’usine Pouyuen à Bình Chánh et le 12/6 avec ceux des usines de Long An).

Un mot d’ordre de remettre la partie étant lancé pour les samedi et dimanche 16-17/6, pour empêcher une nouvelle démonstration de force dans les rues surtout dans le sud, le pouvoir de Hanoï a envoyé 25.000 policiers nationaux armés (chính quy) à la rescousse des polices provinciales. Selon la rumeur, ces unités comprennent des militaires chinois dépêchés par Pékin déguisés en policiers vietnamiens, chargés de mater la population afin de sauver le régime, instrument indispensable de l’annexion du Vietnam à la Chine. Les policiers locaux n’étant jusqu’ici munis que de pistolet à gaz lacrymogène, de matraque et de fouet électrique, pour les rendre plus efficaces contre la population révoltée, le pouvoir vient de décider dans la précipitation de leur confier à l’instar de la police nationale des armes létales (fusils et grenades). Au spectacle de barrages et barbelés comme d’une multitude de soldats et de policiers menaçants déployés dans les endroits les plus stratégiques des grandes villes depuis le 15/6, on se croirait en temps de guerre, et guerre il y a, mais du pouvoir communiste contre son propre peuple.

Parallèlement à des mises en garde contre tout attroupement dans les media et par voie des tracts, une rafle générale est organisée contre tout citoyen susceptible de participer à une manifestation : Le week-end des 16-17/6, tout groupe d’au moins trois personnes marchant dans la rue, debout dans une librairie ou attablé dans un café dans les quartiers « sensibles » est interpellé et obligé de montrer sa carte d’identité, celui ou celle ne l’ayant pas sur lui/elle étant frappé(e) d’une forte amende, et si une personne déplaît pour une raison ou une autre aux policiers, elle est aussitôt appréhendée ; de même pour des personnes isolées mais avec un sac à dos douteux ou photographiant avec un smartphone. C’est ainsi qu’à Saïgon rien qu’en la seule journée du 16 /6 près de 200 personnes sont arrêtées. Au poste de police les malchanceux sont soumis à un interrogatoire musclé sur leurs intentions politiques, battus et torturés des heures (par exemple, sous les coups, la facebooker Võ Thị Tuyết Lê a perdu plusieurs dents qu’elle a dues avaler) et parfois des jours durant. Ils finissent par être renvoyés chez eux ou hospitalisés en cas de blessure grave, sauf une minorité, considérée peut-être comme fortement rebelle, qui reste détenue sous le chef d’inculpation « atteinte à l’ordre et à la sécurité ».

A cause donc de la surveillance accrue et de la répression, les Vietnamiens ne sont pas descendus dans la rue le week-end dernier, à l’exception des dizaines de milliers de chrétiens des provinces centrales Nghệ An et Hà Tĩnh, victimes des Chinois de Formosa, conduits par leurs prêtres et bonnes sœurs (le 17/6) ainsi que de milliers d’habitants de Chợ Gạo à Mỹ Tho, forts du statut de berceau de révolutionnaires de leur petite ville, venus assiéger le QG militaire de la province Tiền Giang (siège de la 9e circonscription militaire) aux cris de l’unique slogan  « A bas le communisme qui vend le pays » (le 18/6). Les revendications du peuple n’évoquent plus les lois sur les ZES et l’internet, car la population comprend désormais qu’elles ne sont que secondaires, car c’est sa liberté et son existence en tant que vietnamienne, c’est-à-dire la survie du Vietnam, qui sont en jeu face à l’ambition dévorante de la Chine et la traîtrise éhontée de ses gouvernants. Des appels à d’autres manifestations ce 24/6 et à tous les week-ends futurs quand c’est possible ainsi qu’à la désobéissance civile et même à l’insurrection continuent à circuler sur le net. Les Vietnamiens seront-ils assez nombreux pour avoir la volonté de s’engager dans ce bras de fer avec les autorités sachant qu’ils le paieront avec beaucoup de sang et de larmes ?