Traduction par Mme Dang Phuong-Nghi d’un document publié dans le blog de l’Association des étudiants vietnamiens pour les droits de l’homme, septembre 2017.

Tout d’abord, je vous affirme, mes amis, que je suis un être humain. Un humain normal quant à l’esprit, au savoir et à la réussite relative dans la vie. Alors pourquoi me traite-je d’« animal » ? Veuillez lire la suite pour en connaître la raison.

J’écris ces lignes pour me confier à vous après une nuit agitée passée à réfléchir sur l’humanité et sa condition. Le fait est que ce matin j’ai eu à aller au domicile particulier de mon supérieur, Secrétaire du parti dans la province X. Ma province est pauvre mais la résidence de mon supérieur ne cède en rien aux demeures des nababs et de méga-stars dont les journaux nous abreuvent de nouvelles. Comparée à celle de son confrère récemment limogé à Hà Giang, elle peut l’égaler bien qu’elle soit sise dans une ville où le pouce de terrain vaut son pesant d’or et non dans un trou perdu.

Laissez-moi me présenter. Je suis un jeune homme entré dans le parti il y a 10 ans, diplômé de l’Institut de la presse et de la propagande, qui travaille dans l’éducation par la propagande (tuyên giáo), métier qui n’existe que dans les pays d’idéologie socialiste.

Bien qu’il s’agisse d’un travail spécifique, nous sommes les enfants chéris du parti. Lisez l’article « Constituer l’armée des cadres d’éducation par la propagande de la province Lào Cai, étape 2011-2015, en vue de 2020 » pour voir combien la tâche d’éducation par la propagande est considérée par le parti. Une province pauvre et peu peuplée comme Lào Cai a besoin de 3000 agents spécialisés dans l’éducation par la propagande, non compris leurs collaborateurs dans les communes – chaque commune ayant déjà de 8 à 13 propagandistes !

Je calcule qu’étant donné en moyenne chaque agent d’éducation par la propagande reçoit un salaire de 5 millions đồng ( ~200 USD) /mois, cette province indigente dépense chaque mois 15 milliards (600.000 USD), chaque année 180 milliards (7,2 millions USD) pour la propagande. Si l’on multiplie ce chiffre pour tout le pays on aura le chiffre énorme de 11.520 milliards (460,8 millions USD), et c’est le chiffre minimum car il se base sur la province la plus pauvre). Je pense qu’il se peut que la recette annuelle des impôts de cette province suffit tout au plus à nourrir son armée d’agents de l’éducation par la propagande.

Mon salaire actuel est le double du salaire moyen susdit (de l’ordre de 10 millions/mois). Mon travail quotidien consiste à lire les textes écrits dans les blogs marginaux pour détecter la tendance de l’opinion, rassembler les informations et en faire le rapport aux dirigeants ; à étudier soigneusement les écrits pour trouver les failles et se baser sur elles pour attaquer l’auteur, susciter des doutes à son égard et noircir sa réputation. Parfois je vais à la rencontre de certains personnages considérés comme des activistes démocrates du secteur qui relève de ma responsabilité pour me mettre au courant de leur situation familiale et de leur pensée. C’est une sinécure au salaire élevé, avec des occasions de gagner encore plus grâce aux informations sur les projets gouvernementaux bientôt en réalisation. Si je suis content de ma vie et que ma conscience ne me tourmente pas, je n’écrirai pas ces lignes.

Aujourd’hui, je trouve que je ne suis pas un homme mais un chien, ni plus ni moins. Dès que je mets le pied dans la demeure imposante de mon chef, deux gros et féroces bergers allemands s’élancent comme pour me dilacérer ; heureusement qu’une chaîne autour de leur cou les retient. Mon chef au teint clair éclatant s’écrie : « Bi, soyez sages », et les deux chiens retournent sagement à leur ancienne place. Je reprends mes esprits, quant à mon chef il semble content de quelque chose. « Féroces comme ils sont, ces chiens doivent obéir à leur maître, dit-il. Si l’un se montre difficile à mater, je l’affame pour qu’il devienne raisonnable ». Cela dit, il paraît très satisfait de son autorité dans un sourire plein de sous-entendu.

Nos échanges tournent autour de l’atmosphère politique actuelle : à propos de la Constitution, de l’affaire Đoàn Văn Vươn [ndt : habitant du district de Tiên Lãng, Hải Phòng, libéré de prison le 1/9/2017 après 3 ans et 7 mois d’enfermement pour cause de révolte contre la saisie arbitraire et violente par le Comité populaire local de ses 19 ha de terrain et marais pour élevage de crevettes], de la crise économique, de l’orientation des activistes démocrates… Il faut dire que les communistes comme mon chef sont très réalistes et avisés. Quand ils parlent au citoyen c’est tout autre : patriotisme, stabilité, sacrifice, le parti n’a pour intérêt que le peuple,…, mais en interne c’est simplement l’intérêt particulier et l’adversaire. Ils savent qui partage leurs intérêts, qui est dans le même barque qu’eux, qui ne peut quitter la barque. L’intérêt est toujours la carte qu’ils sortent pour marchander et évaluer la situation.

Après l’entrevue, je rentre chez moi le cœur lourd. Sur le chemin du retour le spectacle des pauvres malheureux s’unissant pour pousser une charrette pleine de briques, des groupes d’ouvriers et d’ouvrières du bâtiment retournant à pied chez eux, des gargotes, paniers et éventaires des marchandes, grand-mères et mères de famille, envahissant les rues, des trottoirs malpropres… heurte mes yeux.

Je me vois comme un chien, ni plus ni moins, un chien que son maître nourrit bien pour qu’il aboie. Il aboie pour engraisser son corps et gaver la famille de son chef cependant que le peuple vit dans la misère. Quand donc ces foules de miséreux peuvent-elles entendre des paroles pratiques de leurs plus hauts dirigeants ? Chaque jour ils triment du matin au soir ; que le soleil brûle ou qu’il crachine, ils travaillent et travaillent. Ils ne gagnent que juste de quoi manger par jour, le surplus coule régulièrement du patron de leur société à mon chef qui en réserve une partie pour me nourrir. Je me sens ignoble. Je suis un menteur, je dois mentir au peuple pour avoir mon bol de riz.

J’admire les gens comme le journaliste Đắc Kiên [ndt : Nguyễn Đắc Kiên, a été viré de son journal « Famille et Société » le 26/2/2013 pour avoir critiqué le Secrétaire général du parti Nguyễn Phú Trọng dans son blog], mais je n’ose pas faire comme lui. Je porte encore une charge de famille avec deux jeunes enfants et des parents… Je sais que si j’élève la voix, je ne serai qu’un héros éphémère, je ne résoudrai rien. Kiên est un parmi 7000 journalistes alors que je ne suis qu’un parmi plusieurs centaines de milliers d’individus. Jamais il ne manque de personnes faisant mon travail.

Le parti sait toujours qui nourrir généreusement et qui affamer. Les gens comme nous ont toujours un salaire élevé accompagné de privilèges comme l’achat d’appartement dans les ensembles collectifs (pour y habiter ou pour le louer), ensuite viennent les membres de la police et de l’armée. Je sursaute et ai le cœur serré quand j’apprends qu’aujourd’hui le salaire d’un enseignant ou d’un médecin ayant près de 10 ans d’ancienneté n’est que d’environ 3,5 millions (140 USD), alors que le nôtre s’élève au moins au double du leur.

Les dirigeants du parti sont toujours pragmatiques : A l’extérieur ils parlent de morale, mais à l’intérieur ils tapent sur l’intérêt, ils utilisent l’intérêt pour contraindre à la fidélité. Je suis réellement dégoûté quand dans les réunions secrètes internes les dirigeants n’ont pas besoin de se cacher pour dire ouvertement que nous devons faire tout notre possible pour maintenir le régime parce que seul ce régime gratifie les gens comme nos. Si le régime s’écroule, le métier de propagandiste disparaîtra, de la vie dans la soie et le velours, nous risquerons de tomber dans la mendicité. Quoi de plus sombre qu’une telle situation ?

Je trouve la lutte pour la démocratie déséquilibrée : Un côté est de peu d’importance avec quelques individus utilisant leur propre argent ou, s’ils reçoivent de l’aide de l’étranger ce n’est pas grand-chose parce que la Sécurité prête toujours attention aux histoires d’argent. Elle surveille et détruit aussitôt le réseau de transfert de devises. Le communiste est toujours pragmatique question argent. L’autre côté détient le pouvoir d’Etat, se sert de l’argent des impôts pour nourrir un gigantesque appareil de propagande avec un budget d’une dizaine de milliers de milliards tel le chiffre calculé provisoirement ci-dessus.

J’écris ceci pour que tout le monde comprenne la situation dans laquelle nous sommes empêtrés, nous autres les agents de l’éducation par la propagande. Sans d’autre choix, nous sommes obligés de nous efforcer de soutenir à fond la barque socialiste parce que si elle coule nous coulons aussi. Les gens comme nous sont réduits à l’obligation de se taire, de ne pouvoir rien dire.

Combattants démocrates, en dehors de la glorification d’un noble idéal : liberté, démocratie…, mettez-vous à trouver une solution qui concilie l’intérêt des gens comme nous avec le changement.

Aucun être humain qui voit un meilleur radeau n’est assez idiot pour s’employer à soutenir une embarcation sur le point de couler.