Par DANG PHUONG NGHI

L’appel à une manifestation générale le 10/6/2018 contre le projet de loi sur les ZES (plus justement contre toute implantation chinoise au Vietnam comme c’est écrit sur certaines pancartes : « nous sommes contre toute location de terre aux Chinois, même pour un seul jour » a été massivement suivie dans toutes les villes vietnamiennes, en particulier à Saigon et Nha Trang, où les citoyens se sont déversés par centaines de milliers dans les rues, une première dans le Vietnam communiste.

Parmi les slogans écrits et scandés figure une protestation « non à la loi de sécurité sur internet ». Pourquoi cette formule au milieu des phrases anti-chinoises ?

Le fait est qu’en même temps que la loi sur les ZES, le pouvoir veut faire passer ce 12/6/2018 une « loi de sécurité sur internet » destinée en principe à la protection de l’espace internet contre les activités « nuisibles à la sécurité nationale, à l’ordre, à la sécurité sociale, aux droits et aux intérêts des organisations et des individus », mais visant en réalité à museler l’opinion, en empêchant la population d’accéder aux informations défavorables au parti et aussi bien sûr de les diffuser et de communiquer pour une action commune, surtout maintenant que, sous la pression de Pékin, Hanoï doit accélérer les transferts de souveraineté du Vietnam à la Chine suivant l’accord secret entre les partis communistes des deux pays.

Ce projet de loi, calquée sur la loi chinoise « Management regulations on internet forum and community » promulguée l’année dernière (25-8-2017, fait fi comme chez les Chinois, des droits les plus élémentaires de l’homme que sont la liberté de parole, la liberté de s’informer et de s‘instruire, le droit à une vie privée. Emue par la teneur de cette loi, le 7/6 l’organisation Human Rights Watch a sonné l’alarme et émis son inquiétude auprès du gouvernement vietnamien, suivie le 8/6 dans cette démarche par le Canada et les Etats-Unis qui rappellent à Hanoï que cette loi contrevient à ses engagements lors de son entrée dans l’organisation du commerce international (OMC).

Comme mesures liberticides dans le projet de loi citons par exemple : l’article 2.9 qui assimile tout « franchissement volontaire » « de la muraille de feu » à un acte d’espionnage ; les articles 8 &15 interdisant tout écrit et toute diffusion des informations « hostiles à la république socialiste du Vietnam » et « offensantes envers … les dirigeants ». Selon l’article 26 les opérateurs d’internet sont obligés de garder toutes les données concernant leurs abonnés, de les communiquer à la police dès réception d’une lettre d’icelle (sans besoin d’ordre de la Justice), d’effacer les informations incriminées dans les 24h suivantes, et, à la demande du Ministère de la police ou de celui de l’information et de la communication, de fermer le compte de l’abonné (particulier ou organisation) et ne plus lui fournir le service d’internet. Les fournisseurs d’internet étrangers (sous-entendus Google, Facebook, Microsoft…) étant inclus dans cet article, nous aimerions connaître leur réaction.

L’organisme FireEye, spécialisé dans la protection des données et de la sécurité des ordinateurs, révèle en 2015 que tous les sites web et le réseau d’ordinateurs du Vietnam sont surveillés et piratés par les Chinois du groupe APT30 depuis une dizaine d’années. Après tergiversation, Vncert, le Centre de secours des ordinateurs dépendant du Ministère de l’information et de la communication a reconnu que toutes les attaques informatiques (quasiment permanentes puisqu’en seulement 2 mois, 7-8/2015 plus de 1000 serveurs et environ 2500 sites furent attaqués – cf. https://www.voatiengviet.com/a/an-ninh-mang-google-facebook/4430229.htm ) sont l’oeuvre de pirates chinois. Les incursions chinoises sont d’autant plus faciles que 6/7 des équipements informatiques utilisés dans les entreprises et les services publics vietnamiens sont de fabrication chinoise (Huawei et ZTE, compagnies connues de surcroît pour l’habitude de cacher des virus espions dans leurs produits). Un problème aussi important pour la sécurité nationale que le contrôle de l’internet vietnamien par les Chinois devrait donc un sujet de préoccupation pour le gouvernement, pourtant le pouvoir de Hanoï ne s’en soucie guère.

Ainsi la future loi, loin de donner des moyens pour se prémunir contre les menées de piratage de la Chine, ne cherche qu’à chercher noise aux citoyens par crainte de leur opposition au régime. En voulant mettre internet sous tutelle et serrer l’accès à l’information, le pouvoir nuit non seulement au développement des entreprises (en informatique en premier) mais aussi à celui de l’éducation nationale. Les Vietnamiens, dont l’esprit s’est ouvert au monde grâce aux livres et articles publiés sur le net, ne peuvent que se révolter contre un projet qui les renvoie aux heures sombres d’avant internet où le parti leur faisait gober les pires âneries et mensonges.

Comme la nouvelle sur le vote de la loi leur est parvenue trop tard et qu’elle coïncide avec celle plus urgente sur la création des ZES, il n’est pas étonnant qu’à défaut d’en faire l’objet d’une action spéciale, les manifestants ont inclus leur refus de la loi de sécurité sur internet dans leurs réclamations pour la défense du pays.