Trois nouvelles concessions de territoire à la Chine pour 99 ans en des lieux stratégiques bientôt ratifiées par le Parlement vietnamien sous prétexte de création de zones économiques spéciales
Par DANG PHUONG NGHI
Du 23 au 28/5/2018 dernier, le Parlement vietnamien s’est réuni pour discuter d’un projet de loi sur la création de trois zones économiques et administratives spéciales « appelée Loi sur les unités administratives et économiques » à concéder pour 99 ans aux entreprises étrangères, situées en trois points côtiers stratégiques du pays : au nord Vân Đồn (2.200 km2, dont 551,33 km2 sur terre et 1620 km2 sur mer, province Quảng Ninh) dans la baie de Hạ Long près de la frontière chinoise, au centre Vân Phong Nord (11.000 ha dont 56.000 sur terre et 55.000 en mer, province Khánh Hòa) à 30 km de Nha Trang, face aux Spratly, particulièrement dotée d’un port aussi large et fonctionnel que celui de Cam Ranh sis tout près, et au sud l’île Phú Quốc (58.923 ha, Kiên Giang) au large de Hà Tiên dans le golfe de Thaïlande. La loi devait être soumise au vote le 12/6/2018 prochain, mais sous la pression populaire la date du vote a été remise à la fin de l’année.
En effet, à peine la nouvelle a-t-elle paru dans les media officiels au début de juin qu’une énorme vague de protestation contre le projet gagne la population, relayée dans la presse officieuse et les réseaux sociaux, avec des appels à une manifestation générale ce 10/6/2018. Alors que contre la catastrophe Formosa en 2016, hors les quatre provinces centrales concernées, le pays ne bougea guère, cette fois-ci, comme en 2014 lors de l’arrivée dans la plate-forme de forage chinoise Hai Yang dans les environs des Spratley, des voix s’élèvent de toutes les 63 provinces du pays. Car pour les Vietnamiens, zone économique spéciale n’est qu’une métaphore destinée à tromper le peuple pour désigner annexion progressive du Vietnam à la Chine via une concession territoriale, car comme le montrent les exemples flagrants du complexe Formosa et des usines de bauxite sur les hauts plateaux, les vastes superficies « louées » aux entreprises chinoises pour 70 ans (maximum d’années permises jusqu’ici par la loi vietnamienne) sont devenues des mini-Chines jouissant de prérogatives d’exterritorialité, strictement interdites aux Vietnamiens, même aux représentants de l’ordre, où vivent par milliers des « ouvriers » chinois importés de Chine qui échappent à tout contrôle des autorités, qui prennent femme dans les familles pauvres de la région et engendrent des petits métis chinois destinés à repeupler le Vietnam dont les autochtones sont l’objet d’un plan diabolique de génocide (dont nous reparlerons) de la part de Pékin.
Le modèle de zone économique spéciale (ZES), forme moderne de zone franche, dont le but est de créer une dynamique économique dans la région concernée, désigne un espace géographique dans lequel les lois nationales sont plus libérales que dans le reste du pays, où les entreprises se voient accorder des facilités administratives ainsi que des privilèges en matière fiscale et douanière. Il est surtout adopté par les pays en voie de développement dans le but d’attirer des investissements étrangers qui apportent de l’emploi à leurs citoyens tout en les ouvrant aux gestions et aux technologies nouvelles. A l’imitation de la Chine dont le succès de la première ZES à Shenzen est partout cité, alors qu’il est dû plutôt à d’autres raisons que les exemptions légales, comme par exemple l’attrait d’un marché potentiel de plus d’un milliard de consommateurs, le Vietnam a voulu pareillement ses ZES. Formule appliquée par nombre de pays en manque de capitaux depuis les années 1960, la ZES a eu du temps pour démontrer son peu d’efficience, malgré quelques réussites, mais le pouvoir vietnamien ne veut pas voir les échecs.
Des zones économiques (ZE) dotés de privilèges, il en existe au Vietnam : La première, à Vũng Tàu – Côn Đảo, ne dura que quelques années de 1979 à 1991, mais l’idée fut reprise en 2003, (sur instigation de Pékin ?) avec la création de celle de Chu Lai (province Quảng Nam), et à ce jour le pays en compte 18 qui ne sont pas tellement des réussites. Malgré les déclarations optimistes des dirigeants, à part les deux ZE situées dans les provinces relativement riches de Đà Nẵng et Khánh Hòa, les autres non seulement n’ont suscité aucun essor dans la région, mais encore les provinces où elles se trouvent périclitent au point de réclamer de l’aide à l’Etat. Mais pour les dirigeants si elles ne donnent pas satisfaction c’est parce qu’ils ne sont pas allés assez loin dans les exemptions. Avec plus de faveurs les trois ZES qu’ils établissent rapporteront, selon eux, 50 milliards de dollars par an de taxes et bénéfices divers et entraîneront l’amélioration de la main d’œuvre locale. Quant aux accusations à propos de la Chine, il les rejette sous prétexte que nulle part dans le texte de loi il n’est fait mention de ce pays. Mais les Vietnamiens ne sont pas dupes, car leurs yeux ont fini par s’ouvrir sur la présence chinoise dans tout le pays et l’infamie des gouvernants.
Ils voient bien que les Chinois se sont engouffrés dans les zones économiques en tant qu’entrepreneurs pour finir par s’en rendre maîtres par le rachat des entreprises déficitaires. Au vu de la présence de plus en plus nombreuse des Chinois dans les ZE dont la superficie totale s’étend sur 7.305 km2, soit 2,2% du territoire national, et leur présence exclusive dans certaines comme celle de Vũng Áng (province Hà Tĩnh) où s’est installée l’entreprise Formosa, il est permis de penser qu’il s’agit d’une astuce pour Pékin et Hanoï de faire avaler par les Vietnamiens l’annexion progressive du pays à la Chine. D’ailleurs quel gouvernement sinon complètement vendu alloue-t-il à des ressortissants d’un pays étranger, qui plus est un pays ennemi héréditaire, de vastes portions du territoire national dans les points les plus stratégiques du pays pour s’y installer, et encore plus sans subir aucune contrainte de la part des autorités ?
Déjà, là où la Chine a réussi à arracher au pouvoir communiste de Hanoï de vastes terrains, et pas seulement dans les ZE, pour s’y implanter « économiquement » comme autour de l’usine de bauxite Nhân Cơ sur les hauts plateaux, les Chinois y migrent par milliers et dizaines de milliers grâce à une décision (non publiée mais appliquée) permettant aux Chinois d’entrer au Vietnam sans visa (chaque jour arrivent plus de de 10.000 « touristes chinois » mais on ignore combien repartent), sans limite de séjour, sans risque d’être contrôlés et poursuivis s’ils contreviennent à la loi vietnamienne (même la presse officielle fait état de nombreux cas de « touristes » coupables de grivèlerie, de violence et de vol envers les gens du pays sans que la police, appelée à l’aide, n’intervienne).
Les trois ZES qui font actuellement parler d’elles sont déjà en fait créées en 2007-2014 en tant que ZE, puis élevées au rang de ZES en 2017. Ce qui fait débat ou plutôt la goutte qui fait déborder le vase est que (sûrement à la demande chinoise) le parlement s’apprête à leur conférer un statut spécial qui prolonge la durée de la « location » du terrain jusqu’à un siècle (99 ans) et leur accorde des privilèges administratifs et l’autonomie juridique : en plus d’énormes exemptions fiscales, les entreprises y ont le droit de créer leur propre banque et leur propre monnaie ou utiliser la monnaie de leur choix, et surtout d’instituer leur propre tribunal ; et, passe-droit tout aussi troublant, elles peuvent disposer d’armes pouvant y être fabriquées. Bien qu’elles soient censées attirer les entreprises de toute nationalité, tout le monde comprend que les Chinois sont les plus intéressés et y ont d’ailleurs déjà acheté directement ou via des prête-nom une bonne partie du terrain sur lequel des constructions sont en train de se faire. Même si au début quelques entreprises autres que chinoises s’y implantent, tôt ou tard les Chinois avec leur force de frappe financière, les auront rachetées, comme ils l’ont déjà fait dans tout le pays au point de devenir le plus gros employeur du Vietnam, ce qui les met dans la position d’exiger des candidats à l’emploi la connaissance de la langue chinoise (un des moyens les plus efficaces de la sinisation).
Dans les trois ZES situées dans de très belles régions, le pouvoir veut y promouvoir le tourisme, mais un tourisme de riches dépravés en y encourageant l’ouverture de casinos et la légalisation de la prostitution. Il faut que les dirigeants de Hanoï soient bien dénaturés pour vouloir introduire dans un pays déjà en proie à de tas de maux sociaux un facteur de déchéance sociale et un foyer virtuel de criminels. Car si le citoyen lambda ne pourra pas y venir s’amuser, jeunes Vietnamiens et jeunes vietnamiennes y seront recrutés pour servir de main d’œuvre servile et d’esclaves sexuels. Ce projet leur est probablement soufflé par Pékin qui cherche entre autres desseins à délocaliser les entreprises les plus polluantes (au sens physique et moral) tout en affaiblissant ses partenaires-rivaux. Il suffit de voir l’exemple de la ZES de Bokea au Laos, près du Triangle d’or, prise en main par la compagnie hongkongaise Kings Romans où sévissent les vices (jeux, sexe et drogue) autour de ses salles de jeux et de ses hôtels de luxe sous la férule d’une loi mafieuse privée, où ne circule que le renminbi et non le kip laotien, où la langue chinoise est de rigueur, sur laquelle le Comité pour le quadrangle économique censé la chapeauter n’a d’autre pouvoir que l’estampage d’un timbre sur le passeport des visiteurs.
Aucune loi n’a paru jusqu’ici nécessaire au pouvoir pour céder de la terre vietnamienne aux Chinois. Le secret entoure toujours les abandons de territoire à la Chine dans le traité de 1999 sur les frontières. La cession aux Chinois de plus de 300.000 ha ou 30.000 km2 de terre abritant des précieuses forêts primaires dans les provinces frontalières du nord n’a été connue que grâce à la dénonciation de deux généraux en 2010 et a entraîné après complète déforestation l’établissement d’une population immigrée chinoise incontrôlée estimée à des millions aux portes du pays, qui serviront sûrement d’argument à Pékin pour s’approprier carrément la région et redessiner ainsi la frontière en sa faveur. La plupart des projets industriels dévolus sans tambour ni trompette aux Chinois comportent toujours la « location » d’une surface importante de terrain dont les habitants sont expropriés manu militari au nom du développement pour venir grossir la masse des sans logis ou « dân oan (peuple victime d’injustice) et être remplacés par des immigrés chinois. D’ailleurs, en ce moment même, se poursuit l’expropriation des familles vivant dans les zones destinées à devenir des ZES.
La durée consentie aux ZES n’apporte aucun changement à leur statut autonome de fait dès que les Chinois y mettent les pieds. Aucune durée n’était annoncée comme limite à la concession des 110 ha entourant l’usine de bauxite Nhân Cơ et pourtant elle est devenue une chasse gardée chinoise complètement clôturée et fermée aux Vietnamiens fût-ce des agents de l’autorité, où vivent un grand nombre de Chinois dont personne ne sait ce qu’ils y font exactement, ce qui laisse soupçonner qu’il s’agit de militaires camouflés. Elle constitue autant un espace extraterritorial que le complexe Formosa, beaucoup plus étendu (3300 ha dont 2.025 ha sur terre et 1.239 ha sur mer comprenant le port en eaux profondes de Sơn Dương), dûment concédé aux Chinois pour 70 ans avec possibilité de faire venir la main d’œuvre de Chine (estimée actuellement au moins à 10.000 employés, soupçonnés aussi d’être des militaires) pour lesquels ils construisent des logements sur des surfaces supplémentaires que leur loue le pouvoir local. D’ailleurs, dans les trois zones concernées à Vân Đồn, Vân Phong et surtout Phú Quốc une bonne partie du terrain est déjà « achetée » par des Chinois et leur constitution en ZES déjà signée par le premier ministre en 2017. Dans la réalité le projet des ZES est déjà en train de se réaliser.
Pourquoi donc vouloir entériner par une loi leur établissement et prolonger la durée de concession à 99 ans ? Certainement, les dirigeants de Hanoï préfèrent de beaucoup agir avec dissimulation, en laissant les Chinois s’emparer au fur et à mesure du pays mais sans proclamer cet état de fait, c’est-à-dire sans réveiller la fibre patriotique du peuple endormi par la propagande. Le problème est que Pékin a besoin d’asseoir une domination relativement légitime sur la Mer orientale à la fois pour contrer les critiques internationales et pour se prémunir d’une volte-face vietnamienne. Les trois ZES choisies exprès pour leur importante situation géographique, une fois entièrement dans ses mains grâce à sa mainmise sur tous les projets prévus et devenant alors une concession chinoise légale semblable à celle de Hong Kong pour les Anglais, pourront être transformées aisément en bases militaires, étant toutes les trois prévues pour accueillir un port et un aéroport. De ces bases installées sur la côte du Vietnam, la Chine pourra exercer une surveillance plus accrue sur la Mer orientale et la pousser jusqu’au golfe de Thaïlande à partir de Phú Quốc en même temps que de Sihanoukville où elle possède une base navale depuis 2010.
Quant à la durée de 99 ans, elle a été choisie pour son caractère symbolique, qui rappelle l’humiliation chinoise avec Hong Kong, à la fois pour tester la réaction des Vietnamiens que pour la satisfaction revancharde des Chinois. Au sortir de la monarchie mandchoue, la Chine républicaine puis communiste qui se relève difficilement de l’oppression mandchoue (parlant de l’empire des Qing, on oublie souvent que c’est une dynastie étrangère qui y règne et considère les Chinois comme des sujets de deuxième zone, obligés de porter une coiffure à nattes pour les distinguer des maîtres mandchous) et des mortifiantes ingérences internationales, n’a cessé de rêver à une revanche éclatante en redevenant une puissance économique et militaire (projet « Rêve de Chine » officiellement déclaré et enseigné au milliard et demi de citoyens chinois), ce qui est somme toute un désir respectable, mais afin de pouvoir dominer tous les autres, de leur infliger les mêmes humiliations que celles qu’elle avait subie, ce qui est inquiétant et exécrable. La divine surprise de la manne de capitaux apportée après son intégration dans l’ONU en 1971 par les capitalistes occidentaux dans leurs illusions de profits mirifiques a apporté à Pékin les moyens nécessaires à la réalisation de ses folles visées : Grâce aux délocalisations étrangères et aux transferts de technologie, la Chine a pu s’industrialiser, développer l’instruction publique, renforcer et moderniser son armée et surtout accumuler une réserve colossale d’argent qui lui permet de s’étendre à l’étranger en y achetant mines, terres cultivables, ports, entreprises, politiciens et agents d’influence, etc. pour y exploiter les ressources locales et y faire migrer ses ressortissants.
Le gros problème pour les pays qui s’ouvrent aux investissements chinois dans le cadre ou non des zones économiques est justement cette volonté de Pékin de régler son problème de surpopulation par l’imposition d’une abondante main d’œuvre chinoise constituée d’êtres frustes, difficilement assimilables, destinés à faire souche dans le pays endetté, par le biais des projets financés par les banques chinoises. Où qu’ils s’installent, leur présence et leur comportement suscitent des heurts avec la population locale. A cause de ce facteur humain, les implantations chinoises deviennent des colonisations de peuplement, autrement plus pernicieuses que les colonisations pour le seul profit. C’est ainsi que des centaines de milliers, voire des millions de Chinois vivent déjà plus ou moins ouvertement dans toutes les provinces vietnamiennes. L’ hostilité à l’immigration chinoise fait craindre à l’opinion que dans les ZES où leur est concédé un siècle de présence autonome, où ils peuvent vivre comme chez eux sans avoir à s’adapter à la société vietnamienne, forts de leur nombre au bout de plusieurs générations, ils risqueront de faire sécession à la façon de la Crimée de Poutine.
L’inquiétude et la colère des Vietnamiens n’a jamais été aussi forte et partagée ces jours-ci. Sauront-ils dans leur révolte manifester assez de résolution pour réclamer non pas seulement le retrait du projet de loi lequel, même accordé, n’influe guère sur le cours des événements, mais un véritable changement de politique et dans la foulée le renversement du régime, afin de sauver le pays d’une annexion programmée ?